PEYRELEAU - CAUSSE NOIR  : l'histoire brève du sentier Rochotte Pour l'ultra et le marathon, ces 2 courses empruntent un sentier reliant Peyreleau et La Tour sur le causse Noir. Voici sa brève histoire !

 

C’était jour de Carnaval, jour de grand bal, ce grand déballage de bonne humeur, de confettis, de flonflons et de gamins grimés barbouillés, les parents enchantés.

J’ai hésité carnaval défouloir ou ballade isoloir ? C’est le ciel qui a dicté ma décision, un ciel comme je les aime sculptés, soufflant de gros édredons à l’horizon. Je me suis échappé.

 

J’ai hésité, causse Noir ou causse Méjean. Ce n’est qu’à Peyreleau que je me suis décidé, les deux causses sous le nez, à la pointe de cette confluence où la Jonte nourrie le Tarn de ses eaux claires. Finalement, sans brindilles pincées entre le pouce et l’index pour tirer au sort, comme à la belle époque de la rénovation du sentier grimpant à La Tour, je me suis garé au pied du transformateur. Cette fois, pas d’outils, la pioche au clou, le dos au repos, j’ai opté pour le sentier Rochotte, ce long fil d’Ariane reliant causse et vallée.

 

Pas besoin d’être en apnée, ce n’est pas une plongée immersive même si la nature enveloppe, même si le buis vous caresse, même si la mousse vous vole l’oxygène sans vergogne.  L’esprit juste en vadrouille pour se laisser guider ainsi dès les premières marches dans les ruelles de Peyreleau, à l’écoute de ses murmures au-delà des murs, à caresser du regard ses fleurs de roche bourgeonnantes au tout début de leur floraison, avec l’envie non dissimulée de pousser ses portes closes et leurs cardabelles flétries cloutées au bois vernis pour chasser les démons.

 

Le sentier Rochotte a une histoire qui ne s’oublie pas. Les ampoules aux mains bien sûr, 700 heures d’un labeur à l’ancienne pour assainir, assécher et stabiliser, ces longs moments de silence, où seul le bruit sourd de la pioche creusant la terre noire, enivré par l’odeur forte de l’humus, rythme les pensées, rythme les mots dont le sens est parfois plus volatile que l’échappée belle d’une mésange se gavant de chenilles. J’ai souvent disserté intérieurement sur les mots «éthique», «respect», «amitié»….et bien d’autres. Aujourd’hui suis-je vraiment certain d’avoir trouvé un sens, une vérité à ces mots souvent galvaudés par une nuée de corbeaux ? 

 

Ce sentier a une histoire, celle d’un ami disparu, Christophe, le « grand blond avec une chaussure de course à pied », le routard, le marginal, le bourlingueur de l’ultra en quête d’un impossible paradis. Chaque samedi, une année durant, immanquablement, le corps penché à façonner cette sente, bousculé par le désir de rendre éternel ce lieu de passage, je décrochais le téléphone. Christophe s’invitait «Bonjour, c’est moi, ça va ? ». Je lâchais le manche de pioche, je quittais mes gants gavés de sueur pour discuter du monde, des romans de Joseph Kessel dans lesquels il s’envolait, de son prochain entretien qu’il était sur le point de réaliser, formidable intervieweur, hyper-sensible, capable de casser les carapaces les mieux ferraillées pour que l’athlète livre ses doutes, parfois ses effrois.

 

Ce chemin reliant Peyreleau et le Causse Noir, je l’ai baptisé de son nom, «sentier Rochotte», sans plaque, sans lettres dorées à l'or fin, je lui devais bien cela. Aujourd’hui, passé, les premières corniches dominant la vallée, les primevères ont trouvé refuge. Elles fleurissent ainsi, chaque début de printemps, par bouquets garnis la mémoire de Christophe. Avec fragilité et tendresse, sans chagrin, c’est simple, c’est suffisant. Je me suis recueilli.

 
Post Facebook le 26 mars 2023


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